Victor Gaboriault naît le 3 septembre 1909, le deuxième d’une fratrie qui comptera 14 enfants. La famille quitte Montréal vers 1912 pour s’installer à Ville LeMoyne, où le père est employé du Canadian Government Railways. Après onze années de scolarité, le jeune Victor prend l’habit chez les Clercs de Saint-Viateur en 1926. Il enseigne de 1927 à 1934 dans diverses écoles de sa communauté. Ses collègues le surnomment « le grand Vic » car il mesure environ 1,88m, une stature hors du commun. Des signes lointains du mal qui allait l’emporter se manifestent déjà : une affection au genou droit. C’est lors de son passage à l’école François-de-Laval de Bordeaux en 1933 qu’il prend goût à l’ob - servation des oiseaux, et il les note soigneusement à partir de ce moment.
À compter de juillet 1934, il travaille trois ans au Bureau des études de sa communauté, à Outremont, mais sans charge d’enseignement. Il suit ensuite des études supérieures au collège Bourget de Rigaud. C’est alors qu’il publie à son compte en 1939, mais en un nombre inconnu d’exemplaires, le Vade-mecum de l’ornithologiste amateur, un petit fascicule de 40 pages, dont quatre sont des planches coloriées à la main. C’est le premier guide d’identification d’oiseaux produit au Québec, sans doute inspiré par le guide Peterson de 1934. L ’auteur précise que cet ouvrage « contient la description ou l’illustration de cent-dix espèces d’oiseaux qui se laissent approcher d’assez près, ou qui ont des marques distinctives assez frappantes pour qu’on puisse les identifier sans lunette d’approche ».
Après un séjour d’un an à Gaspé et trois ans à Beauharnois, il remplit sa dernière mission à partir de 1945 à l’École supérieure Saint-Viateur, au 7315 rue de Lanaudière, à Montréal. De là, il n’est guère à plus de 2 km des terrains champêtres voisins de la carrière Miron, et il y fait de nombreuses excursions, souvent en compagnie de son frère Wilfrid. Il poursuit à cette époque des cours de bibliothéconomie à l’Université de Montréal et il produit un mémoire, ayant pour sujet Charles-Eusèbe Dionne, qu’il dépose en novembre 1947 (rendu public en 1974 par la Société historique de la Côte-du-Sud). Au cours de ses recherches, il rencontre madame Bernadette Langelier, veuve de Gustave Langelier, et conservatrice de la collection d’oiseaux du Musée de la province de Québec. Elle lui indique nombre de pièces à consulter et l’incite à joindre les rangs de la Province of Quebec Society for the Protection of Birds (PQSPB).
Le frère Gaboriault prend à cette époque la décision de rédiger un Catalogue annoté des oiseaux du Québec. Il y consacre le reste de sa vie, mais l’ouvrage demeurera sous la forme de fichiers de données inédites, aujourd’hui conservés au Musée canadien de la nature. Dans une lettre du 29 mars 1948 à Raymond Cayouette, il dévoile le moyen qu’il a conçu pour obtenir des observations d’oiseaux sur une base continue; on reconnaît aisément là le Feuillet d’observations quotidiennes (Daily field checklist), qu’il décrit comme suit : « À chaque sortie sur le terrain, je prendrai un check-list et j’y inscrirai dans la marge l’endroit, la date et mon nom; vis-à-vis des espèces j’indiquerai le nombre approximatif d’individus observés. » C’est grâce en grande partie à ces feuillets remplis par de nombreux correspondants qu’il entreprend de distribuer en 1951 un Inventaire des oiseaux en six numéros.
Son innovation a été adoptée par les clubs d’ornithologues, à commencer par le Club des ornithologues de Québec, ce qui leur a permis de diffuser des publications contenant un résumé des observations d’oiseaux de chaque saison. Et c’est avec les feuillets ainsi assemblés que la base ÉPOQ (Étude des populations d’oiseaux du Québec) a pu être constituée à partir de 1975 sous la direction de Jacques Larivée. Cette même innovation a été adoptée ensuite par eBird pour la cueillette de données, qui proviennent aujourd’hui de tous les coins du monde. Un compte eBird a même été créé à titre posthume au nom de Victor Gaboriault, et ses observations y sont affichées (ebird.org/profile/ MjE3MjgyMg).
En septembre 1950, la revue Sciences et aventures (vol. 5, no 9, pp. 6-7) consacre un article à l’état de l’ouvrage de Victor Gaboriault, intitulé Un ornithologiste accumule une vaste documentation sur la distribution des oiseaux dans la province de Québec. Le bilan est impressionnant : deux fichiers des documents consultés, en ordre chronologique et en ordre alphabétique; un fichier des 8 000+ spécimens d’oiseaux qu’il a examinés; des fichiers des dates d’arrivée et de départ des espèces migratrices pour Montréal et Québec; un fichier de 400+ localités où figurent les espèces qui y ont été rencontrées; un fichier de cartes géographiques pour chaque espèce montrant les lieux où chacune est notée.
Cette documentation demeure malheureusement incomplète car le mal fatal se manifeste avec gravité : le 16 janvier 1952 on doit l’amputer d’une jambe au-dessus du genou. Quelques jours plus tard, Lewis M. Terrill lui rend visite et lui offre de devenir membre du conseil d’administration de la PQSPB, ce que Victor Gaboriault accepte sans hésitation. Hélas, à une réunion subséquente de la société, on apprend qu’il a rendu son dernier souffle le 22 mars 1952.